CHAPITRE XII

 

Le lendemain matin, les choses ne se présentaient guère mieux.

Malgré le calme qui régnait dans la bibliothèque du lycée, un lourd malaise planait dans l’air. Personne n’avait dormi de la nuit, et Jesse n’était toujours pas réapparu.

Buffy ne se souvenait pas d’avoir eu aussi mal. Tous les muscles de son corps protestaient contre le traitement qu’on leur avait infligé et son cerveau fonctionnait au ralenti. Comme elle n’avait pas voulu montrer ses blessures à sa mère pour ne pas l’inquiéter, elle fouillait l’armoire à pharmacie de Giles à la recherche de bandages.

Pendant ce temps, appuyé à la rambarde du second niveau, le bibliothécaire s’efforçait de fournir à Alex et à Willow une explication sur les événements de la veille.

— Le monde est bien plus ancien que vous ne le pensez, dit-il solennellement, faisant tourner une mappemonde pour souligner ses propos. Et contrairement à ce qu’affirme la mythologie populaire, ce n’était pas un paradis au début. Pendant une éternité, il fut le domaine de démons qui en avaient fait leur enfer.

Willow et Alex écoutaient de toutes leurs oreilles, l’air aussi grave que Giles.

— Puis les démons ont perdu leur emprise sur cette réalité, laissant la place aux créatures mortelles, continua le bibliothécaire en descendant les marches, les bras chargés de livres. Aux animaux et à l’homme. Tout ce qu’il reste des Anciens, aujourd’hui, n’est que vestiges. Un peu de magie…

— Et quelques vampires, ajouta Buffy.

Elle sortit du bureau de Giles, nouant un bandage autour de son avant-bras. Alex se leva, en proie à une agitation évidente.

— C’est là que j’ai un problème, avoua-t-il. Nous sommes en train de parler de vampires. Des créatures inventées de toutes pièces.

Il fronça les sourcils.

— C’est bien ce que nous avons vu la nuit dernière, non ? intervint Willow.

Buffy secoua la tête.

— Ce n’étaient pas des vampires ! Juste quelques voyous qui auraient salement besoin d’un chirurgien esthétique. A moins qu’ils n’aient eu la rage… Et ce type qui est tombé en poussière… Vos yeux vous ont sans doute joué des tours.

Elle regarda Alex, l’air compatissant.

— En tout cas, c’est ce que j’ai pensé la première fois que j’en ai vu. Enfin, après ma crise de nerfs.

— Oooh, gémit Willow. Il faut que je m’assoie.

— Tu es déjà assise, lui rappela Buffy.

— Ah. Tant mieux pour moi.

— Alors, les vampires sont des démons ? insista Alex.

Giles tenta de lui donner une explication.

— D’après ce que j’ai lu, le dernier démon qui a quitté notre réalité s’est nourri d’un humain et a mêlé leur sang, infectant le corps du mortel avec son âme immortelle.

Le bibliothécaire tendit à Alex un gros volume.

— La créature a mordu d’autres êtres pour se nourrir et se reproduire. C’est ainsi que le fléau s’est répandu sur Terre. Depuis, les vampires attendent que les animaux disparaissent et que les Anciens reviennent.

 

*

* *

 

Au même moment, deux vampires regagnaient leur antre.

Très loin sous terre, là où les rayons du soleil ne parvenaient jamais, Luke et Darla poussaient Jesse le long du tunnel obscur conduisant à leur sanctuaire. Le jeune homme titubait entre eux ; il reprenait peu à peu ses esprits. Quand ses yeux furent accoutumés aux ténèbres, la panique le gagna.

Il regarda les visages inhumains des monstres qui l’encadraient, puis le passage qui s’étendait devant eux. On eût dit un vieux tuyau, énorme et rongé par la moisissure.

Jesse sentit que Luke et Darla lui faisaient descendre des marches. Puis ils le jetèrent sur des dalles froides et humides.

Il écarquilla les yeux. Une église ? Ça y ressemblait beaucoup ; pourtant, chaque fibre de son corps lui criait que c’était un endroit maléfique et perverti.

Le jeune homme regarda autour de lui, une stupéfaction respectueuse se mêlant à sa peur. Il se tenait au pied d’une sorte d’autel où s’étendait une mare de sang.

Quelque chose remua dans les ténèbres. On aurait cru que les ombres se rassemblaient et se solidifiaient pour former une silhouette qui avança lentement vers Jesse.

Le Maître toisa ses serviteurs d’un regard froid et impérieux. Ses yeux se posèrent sur Jesse.

— Que m’apportez-vous ?

— Une offrande, Maître, répondit humblement Luke.

— De premier choix, ajouta Darla. Son sang est pur.

Un silence.

— Tu y as goûté, constata calmement le Maître.

Réalisant son erreur, Darla fit un pas en arrière. Le Maître lui adressa un sourire doucereux.

— Tu me traites comme ton chien, me donnant les reliefs de ton repas.

— Je ne voulais pas…, balbutia Darla.

Le Maître lui coupa la parole.

— J’ai attendu pendant trois cents ans. Trois longs siècles ! Pendant que vous alliez et veniez, j’étais prisonnier de ce tombeau. (Sa voix augmentait progressivement de volume.) De ce lieu saint. Aujourd’hui, mon ascension est proche.

Il se tut et prit le visage de Darla entre ses mains.

— Quand elle viendra, cria-t-il, prie pour que je sois de meilleure humeur !

— Pardonnez-moi, Maître, supplia Darla. Nous avions apporté d’autres offrandes, mais il y a eu un problème. Cette fille est arrivée…

Luke hocha la tête.

— C’est vrai. Elle se battait bien et elle connaissait les faiblesses de notre race. Il est possible que nous ayons affaire à…

Le Maître se tourna vers lui.

— La Tueuse ?

 

*

* *

 

— … La Tueuse, acheva Giles.

— Qu’est-ce que ça signifie ? interrogea Alex.

— Depuis que les vampires existent, cita le bibliothécaire, il y a toujours eu une Tueuse. Une seule fille dans le monde…

— Il adore ce passage, coupa Buffy.

Vexé, Giles lui jeta un regard peu amène.

— Très bien, très bien. La Tueuse chasse les vampires, quand elle meurt, une autre apparaît, Buffy est l’élue de votre génération. Surtout n’en parlez à personne, débita-t-il à toute allure. (Il s’arrêta et respira.) Je pense que c’est tout ce que vous avez besoin de savoir pour le moment.

— Vous oubliez une chose. Comment fait-on pour les tuer ? demanda Alex.

— Ça, c’est mon boulot, répliqua Buffy.

— Mais Jesse…

— Je m’en occupe. Après tout, c’est ma faute s’ils l’ont emmené.

Alex fronça les sourcils.

— C’est faux.

— Si tu n’étais pas intervenue, ajouta loyalement Willow, ils nous auraient… emmenés aussi. (Puis, d’une petite voix :) Ça vous choque si je m’évanouis ?

— Respire à fond, ordonna Buffy.

Willow acquiesça.

— Je respire, murmura-t-elle.

— C’est bien. (Buffy se tourna vers Giles.) Ce type, Luke… Il a parlé d’une offrande au Maître. Je ne sais pas de quoi ou de qui il s’agit, mais s’ils n’avaient pas seulement l’intention de se nourrir, Jesse est peut-être encore en vie. Je dois le retrouver.

— Je sais que c’est une question idiote, intervint Willow, calmée, mais ne devrions-nous pas avertir la police ?

— Personne ne croirait une histoire pareille ! protesta Giles. Regarde le mal que tu as eu, alors que tu as vu une demi-douzaine de vampires hier soir !

— Nous ne sommes pas obligés de dire que ce sont des vampires, insista la jeune fille. Juste qu’ils ont enlevé Jesse.

Buffy secoua la tête.

— A supposer qu’ils lancent une enquête et qu’ils retrouvent Jesse, les flics ne seront pas de taille à lutter contre ses geôliers. Que pourraient-ils faire avec des revolvers ?

— Tu ne sais pas où ils ont emmené Jesse ? demanda Giles.

— J’ai fureté dans les environs, mais en sortant des bois, ils ont pu… (Buffy balaya l’air de la main.) Vooom !

Alex écarquilla les yeux.

— Ils volent ?

— Non, mais ils savent conduire.

— Oh !

— Je ne me souviens pas d’avoir entendu une voiture, objecta Willow.

— Fions-nous à notre intuition et supposons qu’ils l’ont emmené sous terre, suggéra Giles.

— Les vampires adorent les égouts, renchérit Buffy. Ça leur permet d’accéder à tous les endroits de la ville sans s’exposer aux rayons du soleil. Mais je n’ai pas vu de bouche d’égout dans les parages du cimetière.

Alex haussa les épaules.

— Les conduits électriques… Il y en a partout sous nos pieds.

Giles réfléchit.

— Si nous avions un schéma de ces tunnels, nous pourrions déterminer leur lieu de rencontre. Mais où trouver ça ? Au cadastre, peut-être…

— Nous n’avons pas le temps, objecta Buffy.

— Il y a un autre moyen, intervint timidement Willow.